Les conséquences de la guerre sur l’approvisionnement mondial en céréales inquiètent. La question est de savoir quels sont les pays les plus vulnérables et quelles solutions locales et durables peuvent être apportées. Le calcul d’un indice de vulnérabilité des pays face aux importations de céréales permet d’apporter un éclairage et des pistes de réflexions.
Mesurer la dépendance des pays face aux importations
Pour caractériser la vulnérabilité des pays face aux importations de céréales, il est nécessaire de croiser plusieurs critères.
Le taux de dépendance aux importations de céréales issues d’Ukraine et de Russie est l’un d’entre eux mais la vulnérabilité d’un pays dépend aussi du poids de la céréale dans l’alimentation, de la part des importations dans la consommation intérieure de cette céréale, et de la part de la consommation humaine dans la consommation intérieure de cette céréale.
Blé
Chiffres, repères et vulnérabilité des pays
Le blé représente 220 millions d’hectares dans le monde, dont 3% en Ukraine et 13% en Russie. La production mondiale est de 760 millions de tonnes, à 76% utilisées pour l’alimentation humaine, et un rendement de 35 quintaux par hectare. L’Ukraine et la Russie exportent 53 millions de tonnes de blé, soit 23 % des exportations mondiales, ou encore 7 % de la consommation mondiale.
Certains pays asiatiques sont très importateurs mais le blé n’est pas la principale céréale consommée (Japon, Viêt Nam, Indonésie…). En revanche, de nombreux pays d’Afrique du nord et du Proche Orient sont des consommateurs traditionnels de blé et très importateurs, notamment la Turquie, l’Égypte, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, le Yémen, le Soudan. Les pays les plus vulnérables aux importations d’Ukraine et Russie sont les 3 pays du Caucase, de toute l’Afrique du Nord sauf l’Algérie, du Proche-Orient (Liban, Syrie, Yémen, Oman). En Afrique subsaharienne, seul le Congo s’avère très vulnérable, car pour les autres pays, le blé ne représente qu’une part modeste dans l’alimentation humaine, souvent moins du quart des céréales.
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Pistes de réflexion pour limiter la dépendance aux importations de blé
Il existe de nombreuses possibilités de substitution du blé, notamment en Afrique où les céréales locales (sorgho, mil, fonio, teff) ont fait l’objet de beaucoup moins d’intérêt que les céréales mondialisées (blé, maïs, riz, orge).
En moins de 3 ans, il est possible de financer massivement la culture de légumineuses, avec un double effet : d’une part fournir de l’azote à la culture suivante pour une augmentation des rendements et de l’autre, substituer des protéines animales par des protéines végétales. Dans les pays où les rendements de blé sont les plus faibles (moins de 40 quintaux /ha), une augmentation de 3 quintaux en moyenne suffirait à compenser la suppression totale des exportations de blé d’Ukraine et Russie. À l’inverse, dans les pays comme la France, déjà à plus de 70 quintaux par hectare, l’augmentation de ces rendements se ferait au prix d’une consommation significativement accrue d’intrants et la destruction d’infrastructures agroécologiques, et ne serait pas de nature à changer la donne à l’échelle mondiale.
Maïs
Chiffres, repères et vulnérabilité des pays
Le maïs représente 200 millions d’hectares dans le monde pour une production de 1 100 millions de tonnes et un rendement de 58 quintaux par hectare. L’Ukraine et la Russie représentent 4 % des surfaces et de la production mondiale. Le maïs est utilisé à 61 % pour l’alimentation animale.
La dépendance aux importations de maïs ukrainien ou russe est beaucoup moins critique que celle sur le blé précédemment citée. Les exportations de ces deux pays ne représentent que 3 % de la consommation mondiale, et si l’Ukraine est le 4ème exportateur mondial, ce sont les pays du continent américain qui dominent le commerce mondial de maïs. Le maïs est relativement peu consommé en tant que principale céréale, sauf en Amérique centrale et en Afrique, à l’exception de l’Afrique du Nord. Dans la plupart des régions, hors Afrique, le principal usage du maïs est l’alimentation animale. Parmi les pays les plus vulnérables, l’Égypte se singularise car elle est également très vulnérable au blé. C’est également le cas de la Géorgie et du Kenya.
Pistes de réflexion pour limiter la dépendance aux importations de maïs
Le doublement des exportations françaises de maïs permettrait de remplacer la totalité des exportations russes mais la hausse de rendement nécessaire impliquerait de généraliser l’irrigation sur la totalité de la production de maïs grain actuelle et augmenter la fertilisation azotée. La contrepartie serait extrêmement élevée. De plus, l’irrigation n’est pas disponible partout et ne peut pas être déployée rapidement à grande échelle.
En revanche, il est possible de convertir une partie des 1,5 millions d’hectares de surfaces françaises de maïs ensilage en maïs grain. La conversion de 20 % de cette surface permet de produire 3 millions de tonnes de grain. Cela suppose une combinaison de plusieurs mesures : diminution du cheptel bovin, en priorité les cheptels basés sur une alimentation maïs – soja, et augmentation de la part d’herbe et fourrages issus de prairies temporaires ou prairies permanents fauchées, en substitution au maïs ensilage.
Céréales à destination de l’alimentation animale
Chiffres et repères sur les céréales à destination de l’alimentation animale
Au niveau mondial, l’alimentation animale mobilise près de 1,7 milliard de tonnes de produits et co-produits (hors fourrages). Le maïs à lui seul en représente plus du tiers. La part de la production mondiale utilisée pour nourrir les animaux est de 61% pour le maïs, environ 70 % pour l’orge ou l’avoine, contre seulement 19 % pour le blé et 5 % pour le riz. Elle est de 100 % pour les co-produits de céréales (son) et d’oléagineux (tourteaux).
La disponibilité moyenne par personne a augmenté de 5 % en protéines totales entre 2010 et 2019 (+7 % en protéines animales et +3 % en protéines végétales). La croissance de la consommation mondiale de concentrés dans l’alimentation animale, de +27 % , ne traduit pas simplement une augmentation de la demande mondiale en protéines animales : le moteur principal est la consommation de viande de volaille et d’œufs, l’aquaculture, l’intensification de l’élevage laitier, plus que la consommation de produits issus des ruminants et des ressources herbagères.
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En France, l’ensemble des commodités consommées en alimentation animale représente 33 millions de tonnes. Les importations sont minoritaires mais non négligeables. Les imports de tourteaux de soja ont diminué, en partie remplacés par ceux de tournesol d’Ukraine.
Pistes de réflexion pour limiter la dépendance aux importations
La poursuite des tendances mondiales actuelles n’est pas durable en termes de consommation de ressources, d’espace et d’impacts environnementaux, notamment climatiques. Une des pistes est de végétaliser notre alimentation. Il est possible de satisfaire les besoins de la population mondiale avec une proportion plus importante de protéines végétales, y compris pour les populations les plus vulnérables, directement impactées par l’augmentation des prix des céréales et donc par celui des protéines animales les moins chères, comme la volaille.
Promouvoir l’élevage de ruminants à l’herbe est aussi une piste. L’augmentation de la production de lait s’effectue en grande partie par l’intensification, basée sur l’usage accru de concentrés. Des systèmes plus herbagers en Europe permettent de préserver les prairies naturelles, tout en réduisant la demande en terres arables pour l’alimentation du bétail.