La régionalisation d’Afterres2050 a permis de décrire dans le détail des « unités agricoles de base » à partir de cas types, c’est-à-dire d’exploitations agricoles représentatives en 2010, que nous avons projetées en 2050. Pour illustrer la transition, voici deux cas d’exploitations picardes, entre réalité et fiction…
D’une rotation picarde conventionnelle …
En 2016, Guillaume Rocquecourt cultive 170 hectares de terre fertile en Picardie. Comme ses voisins, il cultive des céréales à paille, du colza, de la betterave, de la pomme de terre, parfois des légumineuses. Les sols restent nus en hiver, sauf avant la betterave. Cette rotation, somme toute conventionnelle, se raisonne sur 6 ans. La consommation de phytosanitaires est assez élevée, surtout pour la betterave et la pomme de terre. La consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre sont dans la moyenne nationale.
… A la transition progressive vers Afterres2050
Observateur attentif de l’ensemble des indicateurs de son exploitation, Guillaume s’engage dans une modification de ses pratiques pour améliorer ses performances : réduction du travail du sol, et couverture permanente, création de bandes fleuries, et implantation d’au moins une, voire deux légumineuses dans la rotation.
Bilan : un maintien à l’identique de la production végétale (7,5 tonnes de matières sèches à l’hectare toutes cultures confondues), une consommation de phytosanitaires divisée par 2 et une diminution d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation d’énergie.
Parce qu’elles hébergent de nombreux auxiliaires, les bandes fleuries ont permis de réduire les traitements sur le puceron de la pomme de terre tandis que le rendement du colza a augmenté, du fait d’une plus forte présence d’insectes pollinisateurs.
Une dynamique de progrès partagée par Benoit et François, agriculteurs « bio »
Les voisins de Guillaume, Benoit et François Delacher, sont eux en agriculture biologique, en 2016. Leur rotation sur 8 ans comprend 2 années de luzerne. La moitié des périodes d’interculture, en moyenne, est occupée par des couverts, moutarde ou trèfle. A la différence de celui de Guillaume, leur système de culture ne génère aucun surplus d’azote. Mais la part de la production consacrée à l’alimentation humaine n’est que de 42 %, contre 61 % chez leur voisin. En effet, la fourniture d’azote passe exclusivement par la présence de légumineuses, commercialisées pour l’alimentation animale.
La production n’est que de 5,4 tonnes de matières sèches à l’hectare, mais la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre, ramenées à la production, sont nettement plus faibles que chez Guillaume. Contrainte majeure : la nécessité d’acheter de l’azote organique à l’extérieur, sous forme de compost, puisque l’azote issu des légumineuses n’est pas suffisant pour fertiliser correctement les surfaces en céréales. Il arrive qu’une partie de la récolte de la luzerne soit compostée afin d’augmenter l’autonomie du système en azote.
Couverts, méthanisation, et dynamiques collectives
En 2025, les légumineuses occupent le tiers de la surface cultivée chez Guillaume, et la moitié chez les frères Delacher qui cultivent aussi du pois en culture associée au blé dur. Pour Guillaume comme pour les frères Delacher, les voies de progrès sont passées par une augmentation des légumineuses destinées à l’alimentation humaine – lentilles, haricots ou soja – pour répondre à l’augmentation de la demande.
Second passage obligé : réduire le travail du sol, ce qui impose de généraliser les couverts. Guillaume est donc passé au semis direct sous couvert vivant, sans aucun travail du sol, mais conserve quelques traitements phytosanitaires en secours. Les frères Delacher sont en non labour, avec du désherbage mécanique quand c’est nécessaire.
Guillaume et les frères Delacher se sont associés pour créer un méthaniseur en partenariat avec la coopérative agricole. Le méthaniseur est alimenté par un mélange de pailles et menues pailles, de couverts végétaux, et d’issues de céréales, ce qui procure, outre du biométhane, une source d’azote locale, qui plus est « organique ».
En prime, la méthanisation diminue le potentiel germinatif des graines d’adventices ramassées avec les menues pailles. Les frères Delacher réservent une partie de leur production de luzerne pour alimenter le méthaniseur au lieu de l’exporter : ils sont devenus totalement autonomes en azote.
La lutte biologique, qui repose sur la recréation de réserves de biodiversité, est également un pilier du système.
Les frères Delacher ont une préférence pour les bandes fleuries et les haies, alors que Guillaume Roquecourt est un adepte de l’agroforesterie. Les plaines picardes se couvrent ici de bosquets, là de jachères, ailleurs de haies ou de bosquets, dessinant de nouvelles formes paysagères.
… et en 2050…
Les précurseurs, comme Guillaume, Benoit et François, ont passé le relais à une nouvelle génération. Avec plusieurs associés, Louise Delacher, née en 2016, a repris la ferme de ses oncles et l’exploitation de Guillaume. Ils sont passés intégralement en agriculture biologique et ont généralisé le semis direct sous couvert. Une partie des premiers arbres plantés par Guillaume voici 35 ans ont été abattus, transformés en poutres et en granulés, et remplacés par des arbres à fruits coques qui ont déjà commencé à produire noisettes et amandes, transformées en farines dans une meunerie artisanale. Et la recherche d’optimisation reste une activité quotidienne, pour ces agronomes passionnés!